CHAPITRE XII

Sur Dantooine, Anakin Solo examina les alentours du camp, satisfait de ses efforts. Il avait apporté tout l’équipement du Sabre de Jade pendant que Mara se détendait après avoir posé le vaisseau dans un canyon. Il avait repéré un haut plateau facile à défendre et offrant une vue exceptionnelle sur les plaines qui menaient à une mer lointaine et étincelante.

Anakin avait monté leurs deux tentes, orientant celle de Mara, plus grande, selon un axe nord-sud qui assurerait que le soleil levant et couchant la réchaufferait. Il installa sa tente face à celle de Mara, de l’autre côté de la clairière. Il avait ramassé des pierres, les disposant autour d’un trou pour y faire un feu. Il avait l’intention d’aller vers le nord, où s’étendait une forêt de blba épineux, pour se procurer du bois mort. Le vaisseau avait tout ce qu’il fallait pour cuisiner, mais Anakin voulait goûter à une nourriture cuite sur de vraies flammes.

Il savait que c’était un peu puéril. Mais il trouvait ça amusant et espérait que Mara penserait de même. Le but de leur voyage était de permettre à la jeune femme de retrouver la santé sur un monde où la technologie et la civilisation n’avaient pas étouffé la nature. Les Dantaris, étaient un peuple de nomades aux outils primitifs.

Avec un dernier coup d’œil à la pile d’équipement, Anakin fronça les sourcils. Une caisse avait glissé. Il se servit de la Force pour la remettre en place.

– Anakin, ne fais pas ça !

Appuyée à un rocher, Mara était plus pâle que d’habitude, sa veste boutonnée jusqu’au col malgré la chaleur. Il la soutint avec la Force, puis fit glisser une chaise pliante vers elle.

– Tu aurais dû me dire que tu voulais venir au camp. J’aurais pu t’y amener.

Anakin sentit une résistance à la Force. La chaise rebondit comme si elle avait heurté un mur invisible. Mara approcha de la chaise et la ramassa. Puis elle s’appuya dessus.

– Si j’avais voulu de l’aide, je te l’aurais demandé.

Anakin baissa la tête.

– Désolé. J’aurais dû m’en souvenir. Tu n’as pas eu besoin de moi pour poser le vaisseau !

Mara soupira puis s’assit.

– Ne complique pas les choses en mélangeant tout ! Je n’ai pas voulu que tu poses le Sabre de Jade parce que j’avais envie de le faire moi-même.

– C’était un atterrissage difficile. Tu n’avais pas confiance en moi. Normal, tu ne voulais pas que je démolisse ton vaisseau.

– Notre vaisseau était la seule façon de quitter cette planète, je n’avais pas envie qu’il soit endommagé. Et tu sais qu’il est spécial à mes yeux : Luke me l’a offert pour remplacer le Feu de Jade.

– Tu as pourtant détruit volontairement le Feu…

– Oui, et j’avais de bonnes raisons. Mais ton oncle savait ce que ce navire signifiait. Il respectait mon sacrifice. Il a fait fabriquer le Sabre à mon intention pour m’en remercier.

Anakin sentit son estomac se nouer.

– Je suis désolé. Je ne savais pas…

Mara haussa les épaules.

– Sinon que tu as davantage confiance en toi-même.

– Exact.

– J’aimerais que tu me fasses confiance, dit Anakin. Je suis là pour faire ce que tu désires. Et je ne te laisserai pas tomber.

– Je sais. Désolée d’être si faible, et de t’avoir obligé à être ici au lieu de t’occuper de choses plus importantes.

– Je ne pourrais rien avoir à faire de plus important ! Oncle Luke t’a confiée à moi !

– Ne me mens pas, Anakin. Tu aurais préféré partir sauver la galaxie !

– Non, je t’assure que c’est faux.

Anakin utilisa la Force pour amener l’autre chaise près de lui.

– Je suis là pour t’aider… Mara, qu’est-ce qui ne va pas ?

– Arrête de faire ça !

– Quoi ?

– Te servir de la Force à des fins triviales.

– Je ne comprends pas. Que veux-tu dire ?

– Je l’ai senti dans le vaisseau. Je sais que tu veux faire de ton mieux pour moi, mais la Force ne sert pas à monter des tentes ou à transporter des caisses.

– La Force est l’alliée du Jedi, dit Anakin. La taille importe peu. Si je ne l’avais pas utilisée, j’aurais dû…

– Transpirer ?

– Euh… Oui, je suppose. Le vaisseau est à cinq cents mètres d’ici, et transporter tout ce matériel…

–… aurait été un dur travail. Tu cites l’aphorisme de Maître Yoda : « la taille importe peu », mais pas dans le bon contexte. Yoda voulait dire à Luke de cesser de douter de sa propre valeur. Tu l’utilises comme une excuse, ou un défi.

– Luke a dit que Yoda avait sorti son aile X du marécage de Dagobah !

– Je la maîtrise !

Mara foudroya le jeune homme du regard.

– Vraiment ?

Anakin s’empourpra.

– J’ai été formé à la maîtriser. Je sais comment l’utiliser.

– Savoir comment t’en servir est autre chose que savoir quand le faire. Réfléchis, Anakin. Combien de fois as-tu vu ton oncle recourir à la Force dans la vie quotidienne ?

– Rarement, ces temps-ci. Pas depuis la fin de la guerre.

– Exact. Il s’en abstient depuis qu’il a compris que cela le coupait des aspects les plus subtils de la Force. On ne risque pas d’entendre un murmure si on hurle tout le temps. Et recourir à la Force comme tu le fais est l’équivalent de cris incessants. Le comprends-tu ?

Anakin fronça les sourcils.

– Je crois. Mais je suis toujours en formation. J’ai besoin de peaufiner mon contrôle.

– Je suis d’accord. Mais utiliser la Force n’est pas la seule solution. Chewbacca ne s’en servait pas, et il t’a sauvé la vie, plus celle de ton père et d’innombrables gens.

– N’essaie pas de me prouver que Chewbacca n’est pas mort à cause de moi.

– On te l’a déjà dit, non ?

– Oui. Mais n’essaie pas d’inverser les choses et de me forcer à me défendre. Je suis jeune, pas idiot !

– Je le sais. Tu n’es pas idiot, mais naïf. (Mara le regarda et gloussa.) Oh, cet air outragé te va très bien !

– Je ne suis pas naïf. J’ai grandi à Coruscant, puis à l’Académie. Mara, j’ai roulé ma bosse !

– Je ne parle pas de ça. Tu as passé ta vie en contact avec la Force. Et cela t’a affaibli.

– Tu ignores totalement de quoi tu serais capable sans la Force. Tu ne sais pas si tu aurais pu amener ces caisses ici sans elle. Tu n’as aucune idée des douleurs musculaires et de la sueur que ça t’aurait coûté si tu l’avais fait seul. Sais-tu combien de temps il t’aurait fallu pour dresser les tentes ? Et le foyer, l’as-tu creusé avec une pelle ? As-tu installé les pierres à la main ?

– Non, mais…

– On m’a appris un truc il y a longtemps : si quelqu’un utilise le mot « mais », c’est qu’il a cessé d’écouter. Je sais que ce que je te dis n’est pas facile à entendre. Il y a probablement une raison, non ?

Anakin se tortilla sur sa chaise.

– Je suppose, oui…

– Laquelle, à ton avis ?

– Peut-être… que je ne suis pas un bon Chevalier Jedi. Que je m’y prends mal.

Et que Chewie serait peut-être en vie si je n’avais pas échoué.

– Tu ne le sais peut-être pas, mais au début, ma formation n’a pas seulement consisté à savoir maîtriser la Force. La course, l’escalade, le combat, apprendre à se mouvoir en silence, l’entraînement en gravité zéro, tout ça aurait été facilité par l’utilisation de la Force. Mais je ne l’ai pas permis. Pourquoi pas ? Quel intérêt y avait-il à ce que j’apprenne à me fier à moi-même ?

– Tu voulais tester tes limites.

– Oui. Et quoi d’autre ?

Anakin réfléchit. Puis la réponse lui apparut soudain.

– Tu apprends aussi ce que peuvent faire les autres, ceux qui ne disposent pas de la Force.

– Exact ! Ainsi, tu peux estimer à quel point ils ont besoin de toi. Trop de Chevaliers Jedi se fient à la Force comme si elle était la solution à tout. Voilà pourquoi Kyp et ses sbires sont si rigides et si froids. Ils interviennent dans des situations sans savoir ce que les gens peuvent faire. Ils imposent une solution. Elle marchera peut-être, mais est-ce la meilleure pour autant ?

Elle se leva et fit face au soleil couchant.

– Te souviens-tu de l’exercice Taanab : le problème de l’inondation qu’on t’a demandé de traiter lors de ta formation ?

– Oui. J’ai eu d’excellentes notes pour cette simulation. J’ai examiné les données, et j’ai vu qu’il serait possible de déclencher un glissement de terrain qui amènerait des tonnes de rochers à former un barrage. Ça a empêché l’inondation d’engloutir un village. J’ai seulement utilisé la Force pour faire bouger les premiers rochers.

– Dis-moi, Anakin, pourquoi le village taanabien était-il en danger d’être inondé ?

– Il était construit sur un terrain bas.

– Avait-il déjà été inondé ?

– Je l’ignore.

– Tu n’as pas consulté l’histoire locale ? Je sais qu’elle faisait partie de la documentation.

Anakin haussa les épaules.

– J’imagine que je n’ai pas considéré ça comme primordial. L’inondation était le problème le plus important.

– C’est là que tu te trompes ! Le problème majeur, c’était que les gens construisaient leurs habitations sur des terres inondables. Ils y étaient contraints parce que des spéculateurs interplanétaires avaient acheté leurs terres ancestrales dans l’espoir que des survivants d’Alderaan y établiraient une colonie. La cupidité de certains forçait ces malheureux à construire leurs foyers à des endroits dangereux. Tu as arrêté l’inondation, mais que serait-il arrivé les fois suivantes ?

– Je n’y ai pas pensé…

– Non. Et si ta solution a marché, les villageois sont incapables de la reproduire. Tu les as sauvés, et ils te seront reconnaissants. Jusqu’au prochain drame ! Là ils se demanderont pourquoi tu n’es plus là pour les secourir.

– Je ne crois pas que ton oncle la considérerait comme adéquate pour un Jedi… Mais j’aurais commencé par convaincre les spéculateurs que leur marge bénéficiaire risquait de fondre comme neige au soleil si je m’en occupais. Puis j’aurais fait évacuer le village. Ensuite, j’aurais aidé ceux qui voulaient combattre les inondations à bâtir un barrage, mais je ne m’en serais pas chargée à leur place.

– Pourtant, les sauver aurait été ta responsabilité de Jedi.

– Réfléchis. Il s’agit d’êtres pensants, conscients qu’ils ont construit des maisons dans une plaine inondable. Suis-je censée les protéger des conséquences de leurs erreurs ?

– Je ne pouvais pas les laisser mourir !

– Tu sais mieux qu’eux ce qu’il leur faut ?

– Dans ce cas, oui… Je crois.

– Si tu penses ça, et que tu ne laisses pas les gens faire leurs propres expériences…

–… Utiliser la Force devient trop facile, et on se place ainsi au centre de la réalité. Ce qui est égoïste, et mène au Côté Obscur.

– Très bien ! Nous sommes responsables de nos actes, et vis-à-vis de la société. Mais assumer les responsabilités d’une autre personne lui dénie ses droits. Il est juste d’aider quelqu’un qui est dépassé par les événements, mais il est mauvais de protéger les gens des conséquences de leurs actes, s’ils ont agi à la légère.

– Et si quelqu’un est soûl et sort un blaster… Attends, j’ai la réponse ! Quoi qu’il en soit, il sera responsable de ses actes, mais l’arrêter aidera ses cibles potentielles, qui auraient été sans défense.

– C’est aussi comme ça que je vois les choses.

Anakin soupira.

– Il n’est pas facile de faire la différence.

– Non, mais que tu sois prêt à essayer est bon signe. Bon, j’ai décidé que j’étais assez en forme pour t’aider à rapporter du bois. Nous le porterons, d’accord ?

– D’accord.

Si tu penses en avoir la force, Mara, j’irai avec toi. Mais si j’estime que tu as besoin d’aide… La jeune femme sourit.